Anne Kelly, commissaire
Service correctionnel Canada
340, avenue Laurier Ouest Ottawa (Ontario) K1A 0P9
OBJET : R PONSE DU SCC SUIVANT LA PUBLICATION DU RAPPORT AU COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE SUR LE RAPPORT DROITS DE LA PERSONNE DES PERSONNES PURGEANT UNE PEINE DE RESSORT FÉDÉRAL ______________________________________________________________________________
Madame,
Je vous écris aujourd’hui pour vous informer que j’ai récemment lu le rapport mentionné en objet qui formule quelque 71 recommandations au Service correctionnel du Canada et au Gouvernement du Canada. Si UCCO-SACC-CSN accueille favorablement certaines d’entre elles, d’autres suscitent de réelles inquiétudes. Considérant que sa visée est la protection des droits de la personne des personnes purgeant une peine de ressort fédéral, le rapport contient des recommandations qui ne considèrent ni la sécurité du personnel ni celle de la population carcérale. C’est dans ce contexte que je vous écris, à titre de commissaire de Service correctionnel Canada, et vous demande de répondre à nos préoccupations relativement à certaines recommandations en gardant en tête votre personnel et sa sécurité.
Recommandation 6
Que le Service correctionnel du Canada attribue initialement à toutes les femmes sous responsabilité fédérale la cote de sécurité minimale et que, conformément aux recommandations du Groupe d’étude sur les femmes purgeant une peine fédérale, faites en 1990, et de la Commission d’enquête sur certains événements survenus à la Prison des femmes de Kingston, menée en 1996, le Service correctionnel du Canada collabore avec des experts indépendants et des organismes de la société civile pour élaborer un outil de réévaluation du niveau de sécurité fondé sur les droits qui reconnait les besoins complexes des femmes purgeant une peine de ressort fédéral afin de s’assurer qu’elles ne sont pas surreprésentées inutilement et arbitrairement dans les niveaux de sécurité élevés.
Le rapport cite deux études, dont une qui conclut que l’échelle de classement selon le niveau de sécurité doit être retravaillée du commencement pour reconnaitre les facteurs potentiels qui mènent à l’incarcération d’une détenue. L’autre étude suggère que toutes les détenues devraient initialement être logées dans les établissements à sécurité minimale. Cette recommandation ne prend pas en considération l’intérêt public et ne respecte pas le mandat du Service correctionnel du Canada. Toutes les décisions doivent continuer à se baser sur le facteur de risque, et non sur le bénéfice du doute. Même si le comité sénatorial reconnait que des changements ont été apportés à l’échelle de classement selon le niveau de sécurité spécifique aux détenues, le comité et son rapport semblent déterminés à orienter le Service dans une direction qui minimise la criminalité des délinquantes, ce qui se traduira sans aucun doute en un plus grand risque pour le public. De plus, il est important de souligner les problèmes relatifs aux détenu-es transgenres.
Recommandation 30
Que le Service correctionnel du Canada annule sa politique permettant aux agents correctionnels de porter sur eux des agents inflammatoires et qu’il offre de la formation supplémentaire sur l’utilisation adéquate et restreinte des agents inflammatoires et sur les stratégies de désescalade comme solution de rechange au recours à la force.
Cette recommandation ne semble pas s’appuyer sur des preuves. Je n’ai lu aucun témoignage d’un membre du personnel de la sécurité du SCC ou d’experts en santé et sécurité. La recommandation repose simplement sur la notion que le comportement violent d’un-e détenu-e peut être maîtrisé avec des « mots ». Je vous rappelle que la décision Armstrong c. Canada (Service correctionnel), 2010 TSSTC 6 (2010-03-29) était très claire quant à l’emploi du gaz poivré qui, en situation d’usage de la force, fournissait une protection pour l’agent-e correctionnel-le devant le caractère imprévisible d’un-e détenu-e, en plus de minimiser les blessures pour le personnel, car sans cet outil, nos membres devraient souvent recourir au contrôle physique des détenu-es ce qui se traduit par une hausse significative du risque de blessure. Cette recommandation témoigne du manque de reconnaissance du travail accompli quotidiennement par nos membres et ne respecte pas les droits de la personne pour le personnel, ainsi que leur droit à la sécurité.
Recommandation 32
Que le Service correctionnel du Canada envisage sérieusement le port de caméras corporelles par les agents correctionnels afin de favoriser la transparence et la reddition de comptes.
Cette recommandation est formulée de telle manière qu’elle porte préjudice au travail des agents correctionnels. On suggère essentiellement qu’il n’y a aucune imputabilité pour nos membres lorsqu’ils ont recours à la force. Dans l’histoire du Service correctionnel du Canada, les agentes et agents correctionnels n’ont jamais été aussi surveillés qu’ils ne le sont actuellement. Il y a tellement de surveillance qu’on peut dire à juste titre que certains agents correctionnels craignent d’exercer leurs fonctions afin de maintenir la paix et d’éviter toutes représailles. Cette recommandation ne sert qu’à calmer les différents groupes d’intérêt qui maintiennent que les agents correctionnels usent de la force et ne sont pas imputables, ce qui n’est pas le cas considérant la surveillance à laquelle font face nos membres dans toutes les situations où il y a eu usage de la force.
Recommandation 40
Que le Service correctionnel du Canada fournisse aux personnes purgeant une peine de ressort fédéral un accès Internet pour qu’elles puissent accéder à des programmes secondaires et postsecondaires, ainsi qu’aux conseils, aux ressources et aux cours et programmes scolaires dont elles ont besoin pour atteindre leurs objectifs de carrière, lesquels devraient être inscrits et encadrés dans les plans correctionnels. Le Service correctionnel du Canada devrait en outre collaborer avec des universités et d’autres établissements postsecondaires afin de créer des cours à l’intention des personnes purgeant une peine de ressort fédéral sur le modèle du programme Walls to Bridges, et qu’il offre ces cours dans les établissements correctionnels fédéraux partout au pays.
Même si les arguments présentés sur les bienfaits de l’éducation et sa corrélation positive sur les taux de récidivisme et sur la baisse de la violence sont forts valables, cette recommandation est encore une fois faite sans tenir compte de la sûreté et de la sécurité de l’établissement. Avoir un accès internet diffère grandement d’avoir un accès intranet paramétré. Je suis, une fois de plus, confus devant le contexte de cette recommandation qui est formulée sans l’apport de témoignages de professionnels de la sécurité.
Recommandation 55
Que le Service correctionnel du Canada cesse le recours aux fouilles à nu des femmes purgeant une peine de ressort fédéral compte tenu des antécédents d’abus chez celles-ci, des effets néfastes sur leur santé mentale et sur les relations entre les détenues et le personnel correctionnel, de même de la faible contribution à la sécurité dans les pénitenciers.
Vu les réponses précédentes du Service sur cette question, je suis ravi de voir qu’il n’y a aucun désir de modifier la politique sur cette recommandation. Ce problème continu d’être porté par des défenseurs des droits des détenus et autres groupes d’intérêt. Les fouilles à nu ont été étiquetées comme « abus sexuel », ou violation de la dignité humaine. Les fouilles à nu sont faites pour empêcher la contrebande et, sans la possibilité de poser cette importante tâche de nature sécuritaire, le niveau de danger augmente dans tout l’établissement. La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition a été modifiée avec le projet de loi C-83 pour permettre l’usage systématique de scanneurs corporels. Ces appareils, déjà présents dans les prisons provinciales, ont été décrits par le personnel carcéral de ces établissements comme l’outil le plus utile dans la lutte antidrogue. Plus d’un an s’est écoulé depuis la sanction royale du projet de loi C-83, mais aucun scanneur corporel n’a été implanté dans un seul établissement carcéral fédéral. Pourtant, ces scanneurs constitueraient très certainement une alternative à la fouille à nu qui pourrait être offerte si elle était disponible.
En conclusion, j’ai envoyé cette lettre pour informer les membres sur certaines des recommandations contenues dans ce rapport, mais surtout pour exprimer notre dissidence avec certaines d’entre elles. Le Service correctionnel du Canada est l’une des organisations les plus politisées de la fonction publique fédérale. Nos politiques peuvent grandement changer selon le parti politique en place. La dernière tendance est l’attention du gouvernement qu’obtiennent les groupes d’intérêt qui bombardent le Service avec des réformes qui ne reflètent pas nécessairement les souhaits de la plupart des Canadiens. C’est mon souhait que vous, à titre de commissaire, et l’entièreté du Service preniez position sur ces problèmes, car nous sommes les professionnels des services correctionnels.
Cordialement,
Jeff Wilkins
Président national, UCCO-SACC-CSN