Réponse à votre lettre du 13 décembre 2023
Madame la Sénatrice,
Tout d’abord, merci d’avoir pris le temps d’ouvrir le dialogue sur cette épineuse question et de nous donner l’occasion de clarifier notre position, souvent mal comprise, sur cette dernière.
Vous qualifiez les renseignements contenus dans notre carte d’« inexacts et trompeurs », notamment en ce qui a trait au caractère « dangereux et inefficace » du Programme d’échange de seringues en prison (PESP). Avec beaucoup d’égards, nous devons vous corriger sur ce point.
Tout d’abord, il est tout à fait exact de dire que le PESP est inefficace et qu’une meilleure alternative existe : les Services de prévention des surdoses (SPS). En effet, l’efficacité d’un programme visant la réduction des méfaits se mesure par son utilisation. Selon les dernières statistiques disponibles, parmi les 10 institutions disposant d’un PESP, il y a présentement 419 participants ayant été acceptés, mais seulement 51 sont actuellement actifs dans le programme, pour une moyenne de 5 détenus par établissements.
En comparaison, il existe un seul service de prévention des surdoses, mais celui-ci totalise 86 patients approuvés et des participants utilisant le service pour un total de 2137 visites jusqu’à présent. Au prorata, le service de prévention des surdoses est environ 17 fois plus utilisé que le PESP. Les résultats parlent d’eux-mêmes : avant l’implantation du Service de prévention des surdoses à Drumheller, cet établissement rapportait le plus grand nombre de surdoses par année au Canada. Un examen de tous les cas de surdoses non mortelles survenus dans les pénitenciers fédéraux depuis le 1er janvier 2017 montre que 32 cas de surdoses non mortelles se sont produits à Drumheller, ce qui se traduit par un taux de 12,8 cas de surdoses non mortelles par an, sur cinq ans. Après la mise en oeuvre du SPS de juin 2019 à mars 2020, dernière date pour laquelle des données sont disponibles, une seule surdose non mortelle s’est produite en 2019 et une autre en janvier 2020.
Ensuite, vous mentionnez être préoccupée par le partage de seringues contaminées parmi la population carcérale, avec pour résultat un taux élevé d’infection au VIH et VHC. Il est important de souligner que le PESP n’élimine aucunement la possibilité de partage de seringues souillées, puisque les détenus obtenant des seringues par le PESP se les font voler ou prendre de force par des détenus n’ayant pas accès au PESP, ce qui remet les seringues souillées en circulation. Si l’objectif est bel et bien d’éviter que des seringues souillées circulent en établissement, les services de prévention des surdoses sont encore une fois bien plus efficaces, puisque chaque seringue utilisée est jetée de façon sécuritaire sous la supervision du corps médical de la prison.
Concernant la réduction des méfaits, le rapport le plus récent du coroner de la Colombie-Britannique considère le fait de consommer de la drogue seul(e) comme un problème important devant être résolu. Or, le PESP, dans sa forme actuelle, encourage et force même les détenus à consommer de la drogue de façon solitaire, sans supervision. Paradoxalement, en tentant de réduire les méfaits, le PESP crée un risque additionnel pour les consommateurs de drogue. D’ailleurs, il y a à peine un mois, deux détenus sont morts seuls dans leur cellule à l’établissement Mountain à une semaine d’intervalle. Ne nous méprenons pas : si le PESP avait été mis en place à Mountain, il n’aurait pas empêché ces décès ; il y aurait contribué. Par contraste, la mise en place d’un service de prévention des surdoses aurait permis que ces deux détenus consomment leur drogue sous la supervision directe de professionnels de la santé, plutôt que seuls dans leur cellule, ce qui aurait possiblement sauvé leur vie.
Au demeurant, rappelons que 70 % des personnes incarcérées dans le système correctionnel fédéral canadien avaient un problème de consommation d’alcool ou de drogue dans la période d’un an précédant leur incarcération (Weekes, J. R., 2002.). Il est donc primordial, dans le cadre de la mission de réhabilitation du SCC, d’aider les détenus à surmonter leur problème de consommation. Or, le PESP ne s’attaque d’aucune façon aux causes fondamentales de la dépendance à la drogue. Alors que les services de prévention favorisent des échanges avec le personnel médical, permettant d’offrir des ressources et des programmes aux détenus, leur permettant de surmonter leur problème de dépendance, le PESP ne fait que faciliter leur consommation de drogue sans aucune autre forme d’intervention afin de guérir leur dépendance. Là où les services de prévention des surdoses offrent une solution pérenne au problème sous-jacent, le PESP l’exacerbe.
Avant l’implantation des PESP et des SPS dans plusieurs établissements, le Service correctionnel du Canada avait adopté plusieurs programmes destinés à diminuer la propagation de maladies infectieuses. Des programmes comme la fourniture de protection contre les infections sexuellement transmissibles (IST), des trousses de désinfection à l’eau de Javel, des réseaux de soutien par les pairs, de Narcotiques anonymes et d’Alcooliques anonymes, et les programmes vitaux de santé de distribution de méthadone, Suboxone, et Sublocade, dont l’objectif est de détourner les détenus de l’usage néfaste de drogues illégales, existent depuis des années. Ces programmes se poursuivent de nos jours et ont vu leur utilisation augmenter de manière exponentielle dans la population carcérale. Une différence majeure existe cependant entre ces mesures et le PESP, car ces programmes visent la réhabilitation. Le PESP ne fait rien pour aider un détenu à arrêter de consommer des drogues, au contraire, il en encourage l’usage, ce qui explique pourquoi de nombreux détenus ont rédigé des pétitions contre le PESP.
Enfin, dans un milieu de travail aussi dangereux et volatile qu’une prison, une seringue peut devenir une arme très dangereuse. Il n’y a aucun moyen de garantir qu’elle ne sera pas utilisée contre un employé ou un détenu. De plus, il n’existe aucune garantie que l’aiguille soit rangée de façon sécuritaire. Ainsi, lors d’une perquisition ou d’une saisie, il existe un risque que les employés du SCC soient blessés par la seringue et potentiellement infectés par des maladies infectieuses.
Même si une évaluation de la menace et du risque (EMR) est effectuée auprès d’un détenu jugé « non dangereux », il n’y a aucun moyen de garantir que l’aiguille ne sera pas partagée avec des codétenus mal intentionnés. En fait, il est très facile pour un détenu qui n’a pas passé le test de l’EMR de faire pression ou de convaincre d’une autre manière un codétenu de lui donner sa seringue.
À cet égard, les Services de prévention des surdoses sont également plus sécuritaires, puisqu’ils donnent accès à des seringues stériles, et empêchent celles-ci de circuler librement dans les établissements et d’être utilisées à des fins violentes contre les employés, les détenus et le public.
La supériorité des Services de prévention des surdoses comparativement au Programme d’échange de seringues est donc démontrée de façon empirique dans les établissements correctionnels du Canada, tant au niveau sécuritaire que dans leur capacité à réellement réduire les méfaits. Ils sont plus sécuritaires et efficaces que le PESP, et ce, pour toutes les parties prenantes. Certes, un tel programme, bien que plus sécuritaire et plus efficace, est également plus coûteux. Qu’à cela ne tienne, nous sommes d’avis que la santé et la sécurité du public, des détenus et de nos membres ne sont pas monnayables. Nous espérons que vous êtes également de cet avis et que vous apporterez votre soutien aux services de prévention des surdoses malgré le coût plus élevé qu’ils impliquent.
Nous vous prions d’agréer, madame la Sénatrice, l’expression de nos salutations distinguées.